Définition, caractéristiques, sanctions, preuve de la discrimination au sens large
HÉMÉRA Avocats – Me Valérie LEMERLE
DEFINITION ET CARACTERISTIQUES DE LA DISCRIMINATION AU SENS LARGE
La discrimination est un traitement défavorable envers une personne.
Pour pouvoir être sanctionnée juridiquement la discrimination doit répondre à 2 conditions :
- Elle doit être fondée sur l’un des critères définis par la loi ;
- Et elle doit se révéler dans une des situations visées par la loi.
Pour être sanctionnable, la discrimination doit être fondée sur un des critères défini par la loi, à savoir :
- l’origine,
- le sexe,
- les mœurs,
- l’orientation sexuelle,
- l’identité de genre,
- l’âge,
- la situation de famille,
- la grossesse,
- les caractéristiques génétiques,
- la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique de la personne discriminée, apparente ou connue de son auteur,
- l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race,
- les opinions politiques,
- les activités syndicales ou mutualistes,
- l’exercice d’un mandat électif,
- les convictions religieuses,
- l’apparence physique,
- le nom de famille,
- le lieu de résidence ou de la domiciliation bancaire,
- l’état de santé, la perte d’autonomie ou le handicap,
- la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français,
- et depuis le 1er septembre 2022, la qualité de lanceur d’alerte
Pour être sanctionnable, la discrimination doit en outre relever d’une situation définie par la loi, à savoir :
- L’accès à l’emploi, à la formation, à l’avancement, les mesures disciplinaires ;
- L’accès au logement ;
- L’accès à l’éducation : conditions d’inscription, d’admission, d’évaluation ;
- L’accès à la fourniture de biens et services : accès à une boîte de nuit, à un restaurant, à un bâtiment public, souscription d’un crédit…
La discrimination n’est pas toujours frontale, elle peut être indirecte :
Lorsqu’un critère ou une pratique apparemment neutre, est susceptible d’entrainer pour une personne caractérisée par l’un des critères protégés, un désavantage particulier.
Par exemple :
- une banque qui n’accepte que la carte d’identité française comme pièce d’identité = commet une discrimination en raison de l’origine ;
- un employeur qui exige un diplôme délivré par une université ou une école française = commet une discrimination en raison de l’origine ;
- un système de rémunération pénalisant les salariés malades (Cass. Soc. 9 janvier 2007, n°05-43962) = discriminatoire en raison de l’état de santé ;
- il en a notamment été jugé ainsi de la mise en place par l’employeur d’une convocation de tous les salariés de retour d’arrêt de travail à un entretien destiné à les sensibiliser sur les enjeux de la désorganisation de la production : il s’agissait de leur énoncer les perturbations résultant de leur absence sur le fonctionnement de l’entreprise (Cass. Soc. 12 février 2013, n°11-27689)
IL Y A DES DIFFERENCES DE TRAITEMENT ADMISES
A titre d’exemple :
- les mesures destinées à favoriser l’emploi des jeunes ou la protection de leur santé ne sont pas considérées comme discriminatoires en raison de l’âge ;
- les mesures destinées à favoriser l’insertion des personnes handicapées ne sont pas considérées comme discriminatoires,
- Les mesures prises en faveur des personnes résidant dans certaines zones géographiques, ou de personnes économiquement vulnérables ne sont pas jugées discriminatoires ;
- Et lorsqu’en termes d’accès à l’emploi, l’appartenance à l’un ou l’autre sexe détermine l’exercice d’un emploi ou d’une activité professionnelle l’offre peut être expressément réservée à une femme ou à un homme : c’est le cas notamment pour les comédiens ou les mannequins. Il s’agit d’une différence de traitement admise.
LES INTERVENANTS POTENTIELS
Le défenseur des droits
C’est une autorité indépendante chargée de lutter contre les discriminations prohibées par la loi.
Il peut être saisi par toute personne se prétendant victime de discrimination, une association ou par un représentant syndical.
Il dispose d’un pouvoir d’investigation important : il peut demander des explications, auditionner des personnes, consulter des pièces … et établir des PV qui seront transmis au Parquet (et peuvent donc fonder une action pénale mais également conforter une action civile).
Il peut aussi organiser des médiations.
Les associations de lutte contre les discriminations ou de défense des personnes vulnérables
Elles n’ont pas de pouvoir d’enquête mais elles peuvent agir en justice avec l’accord de la victime ou établir des rapports qui viendront conforter une action en justice.
L’inspection du travail
Pour ce qui concerne les discriminations en termes d’accès à l’emploi ou à la formation, ou les discriminations en raison de l’exercice d’une activité syndicale ou d’un mandat, les agents de contrôle de l’inspection du travail ont un pouvoir d’enquête et sont habilités à constater les infractions commises.
Les organisations syndicales
Les organisations syndicales représentatives peuvent exercer en justice toute action relative à des agissements discriminatoires, en faveur d’un salarié de l’entreprise ou d’un candidat à un emploi, à un stage ou une période de formation en entreprise.
Avec la particularité qu’elles jouissent d’une présomption de mandat jusqu’à preuve contraire : le syndicat doit notifier par écrit à l’intéressé son intention d’exercer l’action en justice. Il peut agir sans le mandat de l’intéressé, sous réserve que celui-ci ne s’y oppose pas dans un délai de 15 jours à compter de la date de la notification.
L’intéressé est libre d’intervenir à l’instance engagée par le syndicat.
Les membres de la délégation du personnel au CSE
Si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique (CSE) constate une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il peut en saisir immédiatement l’employeur.
Cette atteinte peut notamment résulter de faits de discrimination en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.
L’employeur doit alors procéder sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du CSE qui l’a saisi et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.
En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au CSE si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, peut saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond (anciennement « procédure en la forme des référés »).
SANCTIONS
Sanctions pénales : L’auteur d’une discrimination encourt une sanction pénale de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La peine d’amende encourue est portée à 225.000 euros si la discrimination est commise par une personne morale (Articles 225-4 et 131-38 du Code pénal)
Sanctions civiles : en réparation du préjudice conséquent à la discrimination par remise en état (annulation des mesures discriminatoires) et/ou attribution de dommages et intérêts.
En matière de droit du travail spécifiquement, tout acte discriminatoire pris par l’employeur est nul (article L.1132-4 du Code du travail) et la réparation du licenciement nul n’est pas limitée par l’application d’un barème d’indemnisation.
PRESCRIPTION
La discrimination en tant que délit pénal se prescrit par 6 ans.
La discrimination en droit du travail se prescrit par 5 ans (article L1134-5 du Code du travail).
Mais ce délai court :
- à compter de la révélation de la discrimination : cette révélation peut apparaitre à partir de la production par l’employeur d’éléments de comparaison (Cass. Soc. 22 mars 2007, n°05-45163) ;
- ou à compter de sa dernière manifestation (à partir du dernier agissement discriminatoire : Cass. Soc. : 31 mars 2021, n°19-22557).
Si ce délai est dépassé, il faut tenter de poursuivre sur le fondement d’une atteinte au principe d’égalité de traitement, puisque cette action se prescrit par 30 ans (Cass. Soc. 29 septembre 2021, n°20-12581).
REGLES DE PREUVE
En droit du travail, un aménagement des règles relatives à l’administration de la preuve est prévu par le Code du travail en matière de discrimination (Article L1134-1 du Code du travail)
- le salarié doit présenter des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ;
- au vu de ces éléments, il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
- le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Cet aménagement des règles de preuve n’interdit pas au salarié qui s’estime victime de discrimination de solliciter des mesures d’instruction en référé sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile (demande de communication sous astreinte de documents) Le juge doit alors simplement vérifier si la communication est nécessaire à l’exercice du droit de la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées. (Cass. Soc. 22 septembre 2021, n°19-26144).
Vous pouvez dans ce cadre, solliciter la condamnation de l’employeur à vous remettre sous astreinte les bulletins de paie de salariés de même ancienneté et de même qualification afin de vous permettre d’établir des tableaux comparatifs mettant en évidence une discrimination.